Ferry ou avion : qui pollue le plus ?

C’est LA question qui agite les quelques voyageurs sans avions et parfois les voyageurs traditionnels qui s’interrogent quand ils veulent se rendre sur des îles. Est-ce que prendre le ferry c’est pas pire que de prendre l’avion concernant l’environnement ?

Quand on voit la taille des cheminées des ferrys et la noirceur des fumées qui s’en dégagent, on peut se poser la question. Alors, on a décidé de faire le point sur cette question, du mieux qu’on peut. 

Le but clair est d’avoir un article à partager aux nombreuses personnes qui diffusent de fausses informations à ce sujet et à tous les autres qui cherchent la bonne information. On a passé des heures à lire de nombreuses études et sources pour arriver à ces résultats. Mais on a pu passer à côté de quelque chose, alors si vous voyez une coquille ou inexactitude, n’hésitez pas à commenter.

Plongeons ensemble dans la jungle presque vide des chiffres sur l’impact environnemental comparatif des ferrys et de l’avion.

    Comme dans notre article sur le Bilan Carbone de notre voyage, on va réduire la question « C’est quoi la meilleure option pour ne pas nuire à notre environnement ? » à « C’est quoi la meilleure option pour ne pas dégrader notre climat ? ». En effet, l’émission de gaz à effet de serre, à l’origine du dérèglement climatique, est l’enjeu environnemental principal lié au transport. La pollution atmosphérique est également un enjeu énorme mais nous n’avons pas trouvé suffisamment d’études pour vous fournir une comparaison exhaustive.

    1) Première vue : la comparaison au kilomètre —> le ferry pire que l’avion

    Un ferry c’est quoi déjà ? C’est un gros bateau qui emmène des gens et des marchandises. Et ces gros bateaux nécessitent donc beaucoup de matériaux et d’énergie pour être construits. Il y a donc beaucoup d’émissions de gaz à effet de serre au moment de la fabrication du ferry, comme pour la fabrication d’un avion d’ailleurs.

    Et puis, le gros des gaz à effet de serre sont émis durant l’utilisation du ferry et de l’avion. Ils sont émis en brûlant du carburant pour faire tourner les moteurs : le kérosène pour l’avion et le fioul lourd ou GNL (gaz naturel liquéfié) pour les ferrys. Pour compiler tout ça, on utilise la méthode de l’analyse de cycle de vie

    Ici on va comparer le ferry « Mega Four Express » de la compagnie Corsica Ferries avec 3 types d’avions : court-courrier (petit avion et <1000 km), moyen courrier (moyen avion, entre 1000 et 3000 km), long courrier (gros avion et >3000 km). 

    Corsica Ferries – Sardinia Ferries – le Mega Express Four – Ajaccio (Corse-du-Sud, France)

    Et le résultat est sans appel, le ferry corse émet 311 kilogramme de CO2 par kilomètre parcouru contre 10, 20 et jusqu’à 60 kilo de CO2 par kilomètre pour les avions respectivement court, moyen et long-courrier. 

    MAIS ce ferry embarque en moyenne 600 passagers par trajet et peut aller jusqu’à 2000. En revanche, les avions court, moyen et long-courrier embarquent respectivement 40, 105 et 400 passagers en moyenne. Voici un petit tableau résumant tout ça :


    Empreinte carbone par kilomètre (kgCO2e/km)Nombre de passagers moyenEmpreinte carbone moyenne (kgCO2e / personne / km)Source
    Ferry – donnée moyenne3116000,3Futur.eco
    Avion court-courrier (<500 km)10400,258Base Empreinte
    Avion moyen-courrier (<5000 km)201050,187Base Empreinte
    Avion long – courrier (>5000 km)603960,152Base Empreinte

    En comparant l’avion et le ferry sur un kilomètre, on remarque que le ferry a une empreinte carbone plus élevée que l’avion. Et beaucoup de personnes s’arrêtent ici dans leurs recherches (c’est déjà très bien d’avoir chercher des chiffres). Mais pourtant ce n’est pas suffisant pour 3 raisons :

    1. Qui parcourt 1 kilomètres en avion ou en ferry ? L’important c’est de savoir de  combien d’émissions de gaz à effet de serre on est responsable dans une situation réelle 
    2. Ce sont des données moyennes donc moyennement vraies et souvent inexactes. Dans la réalité, l’empreinte carbone d’un trajet en ferry dépend de beaucoup de facteurs comme par exemple sa vitesse et le niveau de confort qu’on choisit (cabine, voiture, etc.)
    3. On ne fait pas les mêmes voyages en ferry qu’en avion et il faudrait donc comptabiliser aussi les autres sources d’émissions de gaz à effet de serre d’un voyage comme l’alimentation, l’hébergement, les transports autres ou encore les achats.

    Aussi, la grande majorité des ferrys de traversées (hors croisières) parcourt moins de 1000 kilomètres, la comparaison est donc plus pertinente avec des avions court-courrier qu’avec d’autres types d’avions.

    2) Seconde vue : on compare au trajet —> le ferry mieux que l’avion si on le combine au train

    Avec ce deuxième niveau d’analyse, au trajet, on se rapproche déjà plus de situations réelles : 

    • « J’habite à Paris et je veux aller en Corse, vaut-il mieux que je prenne l’avion de Paris ou le ferry depuis Marseille ? »
    • « Je suis en voyage en Chine, à Pékin, et je souhaite me rendre à Séoul en Corée du sud. Est ce qu’il vaut mieux que je prenne l’avion depuis Pékin ou le ferry depuis Qingdao ? »

    Prenons ces deux cas d’usage comme exemples pour comparer l’avion et le ferry.  

    Cartes illustrant les trajets Paris – Ajaccio et Pékin – Séoul en avion et en train + ferry

    A) Option 1 : l’avion

    Pour l’avion, c’est assez simple, on multiplie la distance entre les deux villes par l’empreinte carbone moyenne d’un vol court-courrier et on obtient l’empreinte carbone du trajet. Voici les résultats :


    Pekin – SeoulParis – Ajaccio
    Distance (km)960900
    Empreinte carbone (kgCO2e)248232

    B) Option 2 : train + ferry ou voiture + ferry

    Pour le train de Paris à Marseille et de Pékin à Qingdao et pour la voiture de Paris à Marseille c’est le même principe que pour l’avion : une simple multiplication. Voici les résultats :


    Paris – Marseille en trainParis – Marseille en voiturePekin – Qingdao en trainPekin – Qingdao en voiture
    Distance (km)750750600600
    Facteur d’émission (kgCO2e / km)0,0029 (1)0,231 (1)0,017 (2)0,231 (1)
    Empreinte carbone du trajet (kgCO2e)2,175173,2510,2138,6

    Et bien, la meilleure manière de faire est de la partager en fonction du volume occupé dans le ferry. Au même titre qu’on paye plus cher pour occuper plus d’espaces dans le bateau, on se partage les émissions de gaz à effet de serre en fonction du niveau de service dont on profite. Et pour un passager, le volume dépend de deux principales choses :

    Mais c’est pour la partie ferry que ça se complique. Car on a dit que notre ferry corse émettait 311 kg de CO2 par kilomètre mais comment on partage la responsabilité de ces émissions polluantes entre les passagers et les marchandises

    • Est ce que ce passager occupe une cabine ou un simple siège ?
    • Est ce que ce passager transporte sa voiture ou autre véhicule dans le ferry ?

    Et ça joue beaucoup ! Par exemple, pour un aller simple en ferry Marseille – Ajaccio, un passager piéton disposant d’un simple siège est responsable d’environ 12 kgCO2 contre 125 kgCO2 si il prend une cabine seul et 240 kgCO2 si en plus de sa cabine, il transporte sa voiture dans le ferry. Vous trouverez plus de détails sur les calculs et cette méthodologie ici : https://hackmd.io/@laem/empreinte-ferry

    Si on combine, le train et le ferry, voici les résultats :


    Aller simple piéton siège ferry + train (kgCO2e)Aller simple piéton cabine ferry + train (kgCO2e)Aller simple passager cabine ferry + voiture (kgCO2e)Aller simple vol court-courrier (Paris Ajaccio et Pekin Seoul) (kgCO2e)
    Paris – Ajaccio15140416232
    Qingdao ( Chine) – Incheon (Corée du sud)79351789248

    Et pour que ce soit plus visuel, voici le résultat en graphique : 

    On remarque que pour le Paris – Ajaccio, il vaut mieux prendre le train et le ferry que de prendre l’avion mais le combo voiture et ferry est d’assez loin le pire d’un point de vue climat. Et la différence est assez conséquente, on réduit presque de moitié les émissions de gaz à effet de serre de son trajet en prenant le train et le ferry plutôt que l’avion.

    Le résultat n’est pas le même pour le Pékin – Séoul. L’option train et ferry reste l’option la moins polluante si on s’en tient à un simple siège (en l’occurrence ici a un dortoir commun) mais ne l’est pas si on prend une cabine. La raison de ce résultat est principalement qu’on parcourt 250 kilomètres de plus en prenant le train et le ferry que si on avait pris l’avion directement depuis Pékin.

    Et c’est le point le plus important à considérer quand on compare deux trajets : la distance à parcourir. Plus le trajet est long, plus le moyen de transport motorisé engendrera l’émission de gaz à effet de serre. 

    Et dans l’écrasante majorité des cas, les distances parcourues par les ferrys sont plus courtes que celles parcourues par les avions ce qui en fait en général une option préférable à l’avion si on la combine au train et au bus. La distance moyenne parcourue en avion est de 2400 km pour un français [3] contre moins de 1000 km pour la grande majorité des ferrys.

    Ce qui montre que la comparaison de deux trajets est encore une vision un peu trop étriquée pour comparer pertinemment le ferry et l’avion sur de longs voyages comme des tours du monde.

    3) Troisième vue : on compare au voyage long-terme —> l’avion : transport le plus polluant

    Du chapitre précédent, on comprend que le ferry comme l’avion ne sont pas des moyens de transports écologiques et que leur empreinte carbone est si proche qu’il faut étudier la question au cas par cas. 

    Mais sur des voyages à long-terme, la question n’est pas la même. En effet, personne ou quasiment personne ne fait du ferry son moyen de transport principal contrairement à l’avion. Par exemple, la ligne aérienne la plus empruntée en Europe est.. Barcelone – Madrid qu’on peut facilement remplacer par un train ou un bus.

    Comparons donc notre voyage Rayons d’Orient dont notre moyen de transport principal est le vélo mais aussi le train, bus et ferry à un voyage en avion au Japon. Le résultat est sans appel : 

    En prenant en compte nos hébergements, notre alimentation, le matériel et le transport, un voyage en avion jusqu’au Japon émet 15 fois plus d’émissions de gaz à effet de serre par mois que notre voyage multi-modal. Pour plus de détails : https://rayons-dorient.com/ce-voyage-est-il-vraiment-ecologique/

    On se rend compte en voyant ces résultats de notre voyage d’un an de France au Japon que les 4 ferrys que nous allons prendre sont marginaux dans l’empreinte carbone globale du voyage. Ça représente 165 kgCO2e par personne sur une empreinte totale de 2900 kgCO2e pour l’année.

    Conclusion : deux transports à éviter

    Si je ne retenais qu’une chose de ma lecture de ces différentes études environnementales comparant le ferry et l’avion ce serait que ce sont tous les deux des moyens de transports très polluants qu’il faut éviter au maximum.

    Des nombreuses discussions entre voyageurs à ce sujet, je regrette que beaucoup ne prennent pas en compte la distance parcourue dans leur choix. Ils lisent sur internet que le ferry a une empreinte carbone par kilomètre plus grande que l’avion et décident de prendre l’avion.

    Le deuxième point important de la conclusion est donc de considérer la distance dans la comparaison avion et ferry. Et bien-sûr, la recommandation est de réduire au maximum les distances parcourues par ces deux moyens de transport.

    Enfin, je terminerais cet article sur une note plus personnelle et subjective. L’expérience du voyage en avion ou en ferry est bien différente. J’ai arrêté de prendre l’avion il y a 3 ans et je me rends compte de tout ce que j’ai manqué en survolant le monde plutôt qu’en le parcourant en bus, en train, à pied ou à vélo. Le ferry est pour moi un prolongement exceptionnel de cette expérience sensorielle de découverte du monde par les rencontres, le contact avec l’environnement extérieur et les cultures locales. 

    Et donc, très personnellement, si je devais choisir, je préfèrerais garder quelques ferrys qui me permettent une liaison avec les pays insulaires que l’aviation civile. Tout en espérant que des liaisons en voilier se développent et se démocratisent comme le font les pionniers de Sailcoop : https://www.sailcoop.fr/nos-traversees/ 

    A vous de faire votre propre conclusion par rapport aux faits.

    Pour en savoir plus : 

    [1] Base Empreinte Ademe

    [2] « A carbon footprint of high-speed railways in China : a case study of the Beijing – Shanghai Line », Jianyi Line and al., 2018

    (3) « Les vrais chiffres de l’impact de l’aviation sur le climat », Ouest-France, Aurélien Bigo, 2019

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