Ça y est, après avoir atteint notre destination finale, Sendai au Japon, nous entamons le retour vers la France, sans avion toujours. Vu du Japon, la France c’est loin. Et il nous a fallu accumuler beaucoup d’informations pour préparer notre trajet retour en France sans prendre aucun avion. On vous partage donc, dans cet article, comment nous sommes rentrés avec nos deux vélos et 10 sacoches à Paris en 16 jours.
A la fin de l’article, vous trouverez un fichier excel en accès libre avec tous les trains, bus, ferrys pris pour rentrer avec les prix et liens pour l’achat et commentaires.
1) Rejoindre la Corée depuis le Japon
Sendai est tout au nord du Japon et nous comptons rejoindre Busan, en Corée du Sud, avec le ferry de Fukuoka, tout au sud du pays. Pour cela, nous allons prendre un premier train “Shinkansen” de Sendai à Tokyo puis un bus de nuit de Tokyo à Fukuoka.
Emmener son vélo dans un train ou un bus nécessite souvent de démonter intégralement son vélo et de la ranger dans un sac prévu à cet effet nommé “Rinko Bag”. Pour se faciliter la vie, nous envoyons nos vélos démontés et nos sacoches depuis Sendai à Fukuoka avec la société Sagawa. Ça nous a coûté 200€ soit 100€ pour un vélo et 4 sacoches pesant environ 20 kg.
Ensuite, arrivés à Fukuoka, on a le privilège d’assister au tournoi de sumo de Fukuoka puis nous bivouaquons dans un parc de la ville. Le matin, à 11h on monte dans le ferry de la société Camelia Lines qui relie Fukuoka à Busan en Corée du Sud. On a acheté ces billets un mois à l’avance sur le site de la société Camelia Lines directement.
On arrive dans la soirée et on passe la nuit dans l’hôtel Plus Motel, pas cher et à côté du terminal de ferry.
2) Rejoindre la Russie depuis la Corée du Sud
A) De Busan à Donghae
A Busan, on se sépare pour une semaine. Quentin participe à l’INC5, une session de négociations pour un traité international contre la pollution plastique organisé par l’ONU. Pendant ce temps, Lucile pédale tranquillement jusqu’à Donghae, ville où on prendra un ferry pour Vladivostok.
A vélo, il aura fallu 5 jours à Lucile pour parcourir les 370 km qui séparent Busan et Donghae. De son côté Quentin a pris un bus pour rejoindre Donghae.
Ce bus accepte les vélos en soute sans supplément. Il faut réserver son billet à l’avance directement à la gare routière de Nopo Dong. Il est impossible de réserver en ligne sans papiers d’identité et carte bancaire coréenne.
Le bus nécessite 4h30 et arrive à la gare routière de Donghae à 5 kilomètres du terminal de ferry.
B) De Donghae à Vladivostok
Pour rejoindre la Russie sans prendre l’avion, il n’y a qu’une seule solution : le ferry Donghae – Vladivostok. Ce long ferry parcourt 660 km sur les mers en 28h environ. Ce n’est pas sans impact sur le climat ( voir article), le billet est très cher (environ 350€ par personne) et le confort est correct mais pas exceptionnel pour le prix. De plus, la réservation est compliquée. Voici comment il faut procéder :
- Demander un eVISA pour la Russie sur ce site : https://evisa.kdmid.ru/
Il suffit normalement de 2 jours à compter du paiement de la demande de visa pour avoir une réponse. La durée maximum du eVISA est de 16 jours, à l’heure où j’écris ces lignes.
- Envoyer un email à la société coréenne DuWon (en anglais et en coréen) pour réserver votre ticket en spécifiant que vous avez des bagages vélos et avec le eVISA en pièce jointe ainsi qu’une copie du passeport (ils ne répondent pas aux demandes incomplètes). Voici l’adresse : booking@dwship.co.kr
- Payer la réservation en faisant un virement bancaire directement à la société DuWon du montant indiqué sur la facture qui vous sera envoyé par mail.
- Récupérer son billet le jour du ferry directement au terminal. Vous aurez le choix de mettre vos bagages en soute (sans accès pendant la traversée) ce qui induira un coût supplémentaire ou de les garder avec vous (galère avec 5 sacoches chacun).
Tout ceci étant fait, nous montons dans ce gros bateau mi-fret mi-passagers qui sent bon l’URSS.
28h plus tard, nous arrivons à Vladivostok, à l’extrême orientale de la Russie. Il est 18h. Nous passons sans encombre le poste-frontière russe sans questions particulières à part : “où allez vous ?”, “quel est votre métier ?” et “êtes vous sportifs ?”.
Nous avons eu écho de témoignages d’européens restés bloqués parfois longtemps à ce poste-frontière avec de longs interrogatoires et fouilles de téléphones avec les mots clefs “Ukraine” et “Russie”. Pour nous c’était tout l’inverse : ambiance détendue et passage facile.
3) Traverser la Russie en transsibérien jusqu’à Moscou
Ah le transsibérien ! Un train mythique qui fait l’objet de beaucoup de fausses rumeurs : un train de luxe très coûteux, à l’arrêt depuis plusieurs années, l’impossibilité de s’arrêter sur le chemin, etc. Le transsibérien c’est un miracle ferroviaire, une ligne qui traverse toute la Russie sur 9300 km. C’est un train populaire, peu onéreux avec de nombreux arrêts et qui fonctionne encore aujourd’hui avec 3 à 4 trains par jour.
Nous comptons faire un seul arrêt à Irkoutsk, proche du lac Baïkal, car on veut aller vite pour arriver avant Noël en France. Nous devons donc prendre deux trains :
- Un premier qui dure 3 jours et 5h de Vladivostok à Irkoutsk
- Un second qui dure 3 jours et 11h de Irkoutsk à Moscou
Acheter ses billets de transsibérien
Il y a deux possibilités pour acheter les billets :
- Acheter directement en gare : l’option la moins chère et la plus simple mais avec le risque qu’il n’y ait plus de places dans le train le jour J
- Réserver à l’avance son billet sur le site : www.russianrailways.com
Cette société prend une grosse commission sur la vente du billet (~20%) mais offre la sécurité d’avoir son billet à l’avance.
On a acheté le billet de la première section Vladivostok – Irkutsk à la gare et la section Irkoutsk – Moscou en avance sur le site. En effet, ils ne restaient plus beaucoup de places sur la section Irkoutsk- Moscou (- de 50) donc on a préféré assurer. Voici comment vous pouvez procéder pour la préparation :
- Un mois en avance, cibler un train sur www.tutu.ru, il y a un système de notation des trains sur ce site qui vous aidera à choisir et permet aussi de savoir si il y a un wagon restaurant, une douche et autres services.
- Vérifier fréquemment le nombre de places restantes dans le train sur ce même site. Si le nombre descend en dessous de 50, il est temps de réserver en ligne. Si non, autant réserver sur place.
- Au moment de réserver, choisissez bien votre classe (1, 2 ou 3) et votre couchette. Si vous réservez en gare, notez à l’avance sur un papier le numéro de wagon et de couchettes que vous souhaitez. Ça aide beaucoup au moment de réserver. Nous avons tout fait en classe 3 avec une couchette supérieure et une couchette inférieure pour pouvoir s’asseoir.
Vous trouverez plus de détails dans ce guide rédigé par différents membres de la communauté de voyageurs bas-carbone « L’Alibi » : https://docs.google.com/document/d/1QxFKpjVPethVBZ2UKiF7VZ1DWfXtanzA/edit?usp=sharing&ouid=106295749684235315890&rtpof=true&sd=true
La gare de Vladivostok est littéralement en face du terminal de ferry. On part donc y acheter nos billets de train pour le prochain transsibérien qui part à 22h25. On demande à payer un supplément “vélo bagages”. Le billet de train Vladivostok – Irkoutsk nous coûte 99 euros chacun et le supplément vélo environ 15 euros.
Heureux, nos billets en poche, on se régale au restaurant géorgien Tbilissimo avant de se contenter, pour les 3 prochains jours, de nouilles instantanées.
Transsibérien : c’est parti !
Pour les vélos dans le transsibérien, il y a deux options : démonter son vélo et le ranger dans le compartiment bagages au dessus des couchettes. Ca a marché pour le vélo de Quentin en retirant seulement la roue avant car il est compact. Pour Lucile, le vélo a été rangé dans la “pièce à bagages” en retirant la roue avant également. Normalement, il faut une housse de vélos mais nous n’en avions pas alors on a mis un sac poubelle dessus et ça a fait l’affaire.
Sur la seconde section Irkoutsk – Moscou, nous avons dû racheter un supplément “vélo bagage” en gare en spécifiant que nous souhaitons ranger nos vélos dans la pièce à bagages. C’est plus simple.
Les contrôleurs râlent un peu en voyant les vélos. Notre technique qui a toujours marché : monter les vélos dans le train et négocier à l’intérieur. Au moins vous êtes sûrs de partir avec.
On passe notre temps dans le transsibérien à contempler ces paysages infinis de taïga : des arbres, de la neige et parfois rivières et lacs. Il y a quelques longs arrêts sur le chemin, plus d’une heure. On en profite pour manger dans un restaurant, faire des courses ou juste prendre l’air. Il est aussi possible, à certains arrêts, d’acheter des pirochkas ou du poisson à des vendeurs à la sauvette sur les quais de gare.
Le reste du temps, on lit, on écrit, on joue aux échecs, on boit de la vodka avec les voisins. Bref, le temps file assez vite finalement.
Le stop au lac Baïkal nous offre une pause bien appréciée avant de rejoindre Moscou.
4) De Moscou à Paris
Une fois à Moscou, deux options principales s’offraient à nous pour rentrer en Europe :
- Prendre un train de nuit jusqu’à Saint-Petersbourg puis un bus jusqu’à Tallin : un peu plus long et plus cher
- Prendre un bus jusqu’à Vilnius (ou Riga) directement depuis Moscou
Nous avons choisi la deuxième option car plus rapide, un peu moins cher et qu’il y a un bus direct de Vilnius à Paris.
De Moscou à Vilnius
On réserve donc un bus auprès de la société Ecolines qui part le vendredi 13 décembre à 17h15. Par mail ensuite, on demande un accord écrit pour transporter nos vélos dans le bus : ecolines@ecolines.lv
On nous explique que le vélo doit être démonté sous housse et faire moins de 240 cm (hauteur+largeur+longueur). On acquiesce même si on a pas de housses.
Le jour J, le chauffeur est remonté en voyant nos vélos et toutes nos sacoches. Il nous dit qu’on a deux sacoches inclus avec le billet mais qu’on doit payer 30€ par sacoche supplémentaire et 30€ par vélo soit un montant total 480€ alors que le billet a coûté 100€ chacun.
On range toutes nos sacoches dans un gros sac cabas type “Tati” et on retire la roue avant de glisser nos vélos dans la spacieuse soute. Toujours la même technique : on met les vélos dedans, preuve que c’est possible, puis on continue la négociation. Finalement, on paye 120€ en cash au chauffeur pour nos 2 vélos et sacoches.
A 5h30, nous arrivons au poste-frontière de Terehovas, dernière frontière ouverte entre la Russie et la Lettonie. On s’y attend l’attente va être longue.
Côté russe, on doit sortir nos vélos, les remonter et les passer, avec toutes nos sacoches, dans les machines à rayon X.
Après 2 heures, sans questions particulières ni encombres, nous quittons le territoire russe et on arrive à la partie lettone de la frontière. Un douanier monte dans le bus, nous demandent nos passeports, repart avec et demandent à certaines personnes de le suivre, pas nous.
Nous attendons 3 heures supplémentaires dans le bus pour le retour de nos passeports. Tout est bon, nous voici de retour en Europe. On vit un premier sentiment de retour à la maison même si elle est encore un peu loin.
Ensuite on rejoint Rezekne, où on a un transfert dans un autre bus vers Vilnius. Aucun soucis pour mettre des vélos dans ce bus.
On passe une nuit à Vilnius et prenons le temps de visiter, un peu, cette petite capitale charmante.
Vilnius – Paris : normalement simple, véritablement compliqué
Il y a une solution très simple normalement pour rejoindre Paris depuis Vilnius : un FlixBus direct de Vilnius à Paris qui accepte les vélos pour environ 100€ par personne. Pour une raison inconnue, les billets de ce bus étaient, pour nous, extrêmement chers, 300€ par personne, et l’option vélo n’était plus disponible (apparemment car c’est l’hiver).
On réserve donc un autre FlixBus Vilnius – Paris avec une correspondance à Varsovie pour trois fois moins chers et en réservant, pour chacun, un bagage spécial pour nos vélos et deux bagages supplémentaires pour nos sacoches.
Aucun souci particulier pour mettre nos vélos dans le premier bus Vilnius – Varsovie. Le chauffeur y semble habitué. Nous arrivons à la gare routière de Varsovie, il est 18h. Notre bus de correspondance pour Paris arrive à 19h30. On mange et on attend dans le froid. Nos vélos ont toujours la roue avant démonté.
Le bus vert pomme à double étages pour Paris arrive sur le quai et la réaction de la jeune polonaise, débordée par l’agitation de passagers pressés de partir, est annonciatrice : “No bikes” dit-elle. On explique que nous avons payé un bagage supplémentaire et que notre vélo, ainsi démonté, respecte les dimensions indiqués ( hauteur + largeur + longueur < 240 cm) et le poids indiqué (<30 kg).
Le chauffeur polonais au bouc arrive et dit tout de suite un “No” clair à l’accent russe. On a aucune marge de négociation. On s’énerve. La jeune polonaise appelle sa supérieure mais chez FlixBus, le chauffeur est roi, pas le client. Il part devant nous, Lucile pleure. On ne sera même pas remboursés.
On voit sur le site FlixBus qu’un autre bus part pour Paris avec une correspondance à Nuremberg en Allemagne. Quand le FlixBus pour Nuremberg arrive, on demande au chauffeur si il accepterait nos vélos dans son bus. L’homme aux lunettes, originaire de Riga, nous dit que oui sans aucun problème. On achète deux billets et nous voilà parti pour une 2ème nuit d’affilée dans un FlixBus direction Nuremberg.
A Nuremberg, rebelote, on attends la correspondance avec nos vélos semi-démontés. Quentin tente d’emballer son vélo dans du sac poubelle, sans grand succès. Le bus arrive et même scénario que chez les rigoristes polonais : le chauffeur dit non sans aucune hésitation ni humanité. La jeune allemande ne sert à rien et répète inlassablement : “c’est la règle, c’est la règle !”.
Il s’avère, après longue discussion, que les règles FlixBus Allemagne indiquent que leurs bus n’acceptent aucun vélo même démontés si il n’y a pas de crochet à l’arrière. Ces règles sont accessibles uniquement sur le site FlixBus qu’il faut manuellement passer en langue allemande. Le seul mérite qu’aurait pu avoir cette règle débile est d’être claire et affichée. Mais non. C’est l’illustration claire d’une dérive, à nos yeux, de l’Europe de l’Ouest : les règles passent toujours avant les hommes. Et des règles, il y en a beaucoup.
Finalement, en dernier espoir, on prend 3 trains régionaux depuis Nuremberg pour rejoindre Strasbourg en passant par Karlsruhe puis Appenweier pour arriver à Kehl. Symboliquement, on traverse à vélo le pont de l’Europe qui enjambe le Rhin pour passer la frontière et rentrer en France après l’avoir quitté il y a plus de 10 mois. Notre ami Ziyed nous attend de l’autre côté du pont avec un joli panneau et deux pains au chocolat. Nous sommes sauvés et réconfortés.
Le lendemain matin, on prend un train Strasbourg – Paris avec deux places vélos à 10€ et nous voici arrivés dans la plus belle ville du monde : Paris.
5) Bilan et comparaison avec un retour en avion de Tokyo à Paris
Après 9 mois de vélo, ce retour rapide en 15 jours pour rentrer en France depuis le Japon nous offre une pause appréciée. Si les temps de transports sont longs, ils nous laissent beaucoup de temps pour réfléchir, écrire et lire. Et puis prendre le transsibérien a toujours été un rêve, maintenant réalisé.
Il est trop tôt pour le dire mais on a l’impression que ce retour en train et bus nous évitent le choc des cultures. Nous voyons et vivons l’évolution progressive des paysages et des cultures.
Ce trajet de 15 jours depuis Sendai au Japon jusqu’à Paris en France nous aura coûté 1200€ par personne seulement sur les coûts de transports et rajouté 660 kgCO2e à notre bilan carbone du voyage ( cf article ).
Pour mieux se rendre compte, on a comparé notre retour à un retour en avion depuis Tokyo jusqu’à Paris. Un billet aller simple coûte en moyenne 600€ auquel il faut ajouter 100€ de frais pour mettre les vélos en soute ainsi que le billet de train de Sendai à Tokyo. Au total, ca nous aurait couté 800€.
Un retour en avion nous aurait donc fait économiser pas mal d’argent mais aurait plus que doublé l’impact sur le climat de notre retour avec 1500 kgCO2e.
La comparaison est résumée par ce graphique ci-dessous.
Maintenant vous savez que rejoindre le Japon, extrême oriental de l’Eurasie, depuis la France, extrême occidental, sans prendre aucun avion est possible. Alors, s’il vous plaît, partagez cet article et faites le savoir à votre entourage.
Retrouvez toutes les données (prix, distance, empreinte carbone) mais aussi les modalités d’achat sur cette feuille excel en libre accès : https://docs.google.com/spreadsheets/d/1gJmipxiptgyLaetje8SuREB3WADJox6P4DBXednzlDc/edit
Un très grand merci d’avoir documenté tout ça ! 🙏 Et bravo 👏💪
Super le tips pour voir le type de train sur Tutu, je vais y faire attention pour mon voyage 🙂
Bon retour à vous !
Merci !
Je suis rentrée en avion depuis Bangkok après un Trieste – Asie Centrale – Chine – Asie du Sud-est à vélo et j’ai trouvé que ce retour en moins de 20 heures n’avait AUCUN SENS après presque neuf mois de voyage à vélo. Vous êtes rentré un peu plus de deux semaines après mois, et je vous envie d’avoir fait le trajet en train et, effectivement, d’avoir pris ce temps pour réfléchir au sens du voyage mais aussi pour continuer à découvrir des paysages et rencontrer des personnes.
Et je vous rejoins également sur le trop-plein de normes qui nous entravent et, en l’occurrence, complexifient inutilement les voyages à vélo et la mobilité douce en Europe.
Edwige