Pourquoi ce voyage ? – Version Quentin

Partir un an en train et à vélo ça signifie quitter sa famille, ne plus voir ses amis, réduire son niveau de confort, pédaler entre 3 et 8 heures par jour, dormir souvent dehors et la liste des contraintes du voyage en train / vélo est encore longue.

Une question vient donc rapidement dans les discussions que nous avons eu en France, avant notre départ, et dans celles que nous avons avec les personnes rencontrées sur le chemin : Pourquoi ?

Nous partons en couple, Lucile et moi-même (Quentin). La première réponse évidente est que nous faisons ce voyage ensemble pour nourrir notre couple et partager à deux ce projet d’une vie. La seconde réponse évidente est qu’on est tous les deux intrigués par la culture asiatique. L’Eurasie c’est un seul bout de Terre et un long dégradé de cultures différentes dont la teinte finale est le Japon.

Quand il s’agit de creuser un peu plus profondément les raisons qui nous ont amenées à nous lancer dans ce voyage précisément , elles sont plus personnelles. Nous en partageons certaines, d’autres moins. Pour une meilleure lisibilité, nous vous présenterons séparément les raisons qui nous ont poussées à ce voyage et les projets qu’il nourrit. Cet article que vous lisez est celui de Quentin, celui de Lucile arrive dans les prochaines semaines. 

Pour ma part, Quentin donc, j’aimerais vous donner un peu plus de contexte avant de vous présenter les raisons qui m’ont lancés dans ce voyage. C’est un peu long et technique. Si vous souhaitez juste savoir ce qui m’a pris, passez le paragraphe « Contexte ».

Contexte : le constat d’un monde qui se dégrade

J’ai passé les 5 dernières années de ma vie à étudier et essayer d’enrayer le dérèglement climatique, l’épuisement des ressources et les diverses pollutions des milieux naturels. En 2019, je lis pour la première fois un rapport du GIEC, le groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat. J’ai basculé d’une vision « l’écologie c’est un plus, il faut faire ce qu’on peut » à une compréhension détaillée des problèmes et une vision « c’est vraiment la merde » puis « ça va être dur mais on peut sauvegarder des conditions de vie correctes sur Terre ». Autrement dit, j’ai peur.

En quelques lignes, voici ce que j’ai compris ces 5 dernières années. A partir de la première révolution industrielle en 1840 initiée par la machine à vapeur et les premiers puits de pétrole, l’humanité a basculé d’une petite économie totalement circulaire, 100% renouvelable et durable à une économie gargantuesque aujourd’hui à 91.4% linéaire (1) et consommant à 74% des ressources non- renouvelables (2) (minéraux, métaux, ressources fossiles). En bref, l’histoire des derniers siècles c’est l’évolution d’un épisode de « la petite maison dans la prairie » à un épisode de « Dallas ».

Et par sa boulimie énergétique et matérielle, l’homme a engendré de nombreux impacts environnementaux mettant en péril les conditions de vie sur Terre avec, en ligne de mire, le dérèglement climatique. 

L’histoire est simple, dans notre atmosphère il y a des gaz à effet de serre : le dioxyde de carbone (CO2), le méthane (CH4) ou encore le protoxyde d’azote (NO2). Ces gaz à effet de serre maintiennent la chaleur envoyée par le soleil dans notre atmosphère terrestre. Et heureusement, sans l’effet de serre, il ferait -18°C en moyenne sur Terre. 

Ainsi, principalement par l’effet de serre, le climat sur Terre évolue naturellement entre des ères glaciaires, faibles concentrations en CO2 et donc faibles températures, et des ères inter-glacaires, plus fortes concentrations en CO2 et donc hausses des températures. Le climat et l’Europe évoluent donc des paysages de la Sibérie actuelle avec un glacier énorme qui recouvre la Scandinavie à l’Europe que nous connaissons aujourd’hui, propice au développement humain. 

Mais à partir de la révolution industrielle, la machine climatique s’enraye. L’homme produit des gaz à effet de serre supplémentaires, principalement en brûlant du pétrole, du gaz et du charbon pour se chauffer, faire tourner des moteurs thermiques ou encore s’éclairer. La suite, je ne vais pas la décrire tant elle me fait peur mais vous connaissez les grandes lignes : sécheresse, montée des eaux, difficultés agricoles, famines, etc.

Pour que ce soit plus clair,  vous retrouverez en image, ci-dessous, l’évolution de la concentration en CO2 sur les 800 000 dernières années, directement liée à l’évolution du climat sur Terre (3).

Figure 1 : Evolution de la concentration en CO2 sur Terre de – 800 000 ans à aujourd’hui. (3)

En une phrase, je vois mon environnement, celui qui me permet de respirer, boire, manger, vivre, se dégrader plus vite et à plus grande ampleur que jamais dans l’histoire de l’Homme. 

Ce n’est clairement pas un constat heureux mais je suis convaincu qu’on peut être pessimiste dans le constat, « il y a un gros problème… », et optimiste dans l’action, « …mais ça va le faire ».

Maintenant, vous avez le point de départ de ma réflexion. Voici, pour la suite, les deux principales raisons qui m’ont amenées à ce voyage.

Raison n°1 : la nécessité de vivre plus sobrement

Une deuxième chose que j’apprends durant ces 5 dernières années dans mon métier d’ingénieur : les nouvelles technologies dites « vertes » (voiture électrique, solaire, éolien, méthaniseur, etc.) sont efficaces pour lutter contre le dérèglement climatique mais ne seront pas, à elles seules, suffisantes pour résoudre tous les problèmes cités dans le paragraphe précédent dans le temps imparti (15-20 ans). 

Quelque soit le sujet dont on parle, les déchets, l’énergie, l’industrie ou encore la mobilité, le maître mot est : réduire. On ne sait pas, aujourd’hui en 2024, atténuer suffisamment le dérèglement climatique, limiter la pollution de l’air ou encore préserver notre biodiversité uniquement en substituant simplement une machine, une technologie polluante par une autre.

Prenons l’exemple de la mobilité des particuliers. Un français moyen émet en moyenne 9,9 tonnes de CO2 ou gaz à effet de serre équivalent par an dont 2,1 tonnes de CO2, soit 27%, pour ses déplacements en voiture : au quotidien, pour le travail et les vacances (4). Une voiture électrique émet en moyenne 2 fois moins de gaz à effet de serre qu’une voiture essence ou diesel (5). En changeant simplement de voiture thermique vers l’électrique, sans grand changement dans son mode de vie donc, on peut réduire ses 2,1 tonnes de CO2 à 1 tonne de CO2. Mais l’objectif est plutôt aux alentours de 400 kg de CO2 par an par personne pour la voiture si on respecte les accords de Paris sur le climat (6). On comprend que la meilleure technologie disponible pour les voitures individuelles n’est pas suffisante. Alors pour atteindre les objectifs, il faut faire de la sobriété : moins se déplacer tout court ou encore privilégier la marche à pied et le vélo plutôt que la voiture.

Mais vouloir moins quand le combat de nos ancêtres depuis des siècles était d’avoir plus n’est pas évident. 

Ce voyage a justement pour objectif d’étudier en théorie et en pratique à quoi ça ressemble la sobriété : 

  • En pratique : en voyageant en train et en vélo sur les 37 000 kilomètres aller-retour qui séparent la Bretagne du Japon. Ce sont des modes de déplacement sobres, qui en plus, nous imposent de vivre avec peu car on porte sur nos vélos tout ce qu’on possède (environ 20 kg chacun pour un an).
  • En théorie : en étudiant les modes de vie d’habitants de pays plus pauvres financièrement et donc, par la contrainte, plus sobre d’un point de vue énergétique et matériel. J’espère retranscrire cette exploration dans un livre et répondre à quelques questions qui me taraudent : jusqu’où la sobriété ? Est-ce que ça peut être désirable ? En pratique, ça ressemble à quoi ? Ceux qui ont moins veulent-ils vraiment plus ?

Raison n°2 : Un besoin de liberté et d’humain

Pour cette dernière raison, moins de chiffres et d’arguments rationnels : j’aime la vie et j’aime les hommes, profondément. 

Et ce depuis longtemps. C’est à la suite d’un premier périple à vélo, en 2015, de Rennes à Landerneau avec mon ami Vincent que, pour la première fois, l’idée de traverser le continent eurasiatique jusqu’au Japon, à pied à l’origine, m’est venue. Nous roulions avec nos gros sacs à dos surchargés et chaque soir, sans jamais demander, nous avons été accueillis chez l’habitant : dans un camping-car à Lannion jusqu’à avoir les clefs de l’appartement d’une jeune maman à Landivisiau. J’en ai encore des frissons de joie, rien que d’y repenser. L’homme est-il aussi accueillant et chaleureux dans le monde entier ? Ma curiosité et mon excitation étaient piquées.

Moi et Vincent, très contents d’arriver à Landerneau.

Entre-temps, j’ai grandi et évolué dans le monde de l’ingénieur, un monde rationnel et factuel. J’y ai appris beaucoup sur ce qui est possible et ce qui n’est pas possible selon les lois de la nature, la physique, la chimie. Vous en avez vu un aperçu dans le paragraphe précédent.

Avec ce voyage, je veux donc mélanger le meilleur des deux mondes. Je veux apprendre avec ce voyage à faire, avec ce qui est possible, quelque chose de désirable, d’humain. Et ce projet de société, ce mode de vie possible et désirable, je veux le ressentir et le partager avec les hommes et les femmes qu’on croisera sur notre chemin. 

Concrètement ça veut dire rencontrer pleins de gens et vivre ces moments privilégiés mais pas seulement.

Aujourd’hui, Tik Tok et Instagram, les réseaux sociaux qui façonnent l’imaginaire de ma génération et des plus jeunes, sont bourrés de vidéos nous invitant à consommer toujours plus, faisant encore notamment la promotion de voyages en avion standardisés sauce TripAdvisor.

Je pense que ce n’est pas inéluctable et je veux participer, comme d’autres, à façonner d’autres imaginaires, d’autres visions de l’avenir.

Pour cela, je produirais des courtes vidéos intitulées « J’aimerais que » où dans chaque nouvelle ville, nouveau village, je demanderais à un homme ou une femme de partager un voeu sur l’écologie, la protection de l’environnement. Vous en aurez bientôt un aperçu.

Je reviendrais ainsi en France, le cœur chaud et la tête au clair, bien décidé à faire changer les choses, à nous mettre sur les rails de l’avenir, possible et désirable.

Ainsi, un vent de sobriberté soufflera. (7)

N’hésitez pas à commenter cet article, je suis curieux d’avoir vos réactions.

  1. « CIRCULARITY GAP REPORT 2020 », Circle Economy, 2021
  2. « Global Resources Outlook 2019: Natural Resources for the Future We Want. » IRP (2019)
  3. NOAA, données Lüthi et al. 2008
  4. « Empreinte carbone moyenne française », Carbone 4, 2022
  5. « Avis de l’ADEME : voitures électriques et bornes de recharge », ADEME, 2022
  6. L’accord de Paris, signé en 2015 par 55 Etats dans le monde, nous engage à limiter le réchauffement climatique à +1,5°C et largement sous les +2°C. Ramené de manière équitable à chaque individu sur la planète, ça fait un maximum d’émissions de 2 tonnes de CO2e par an par personne. En gardant la proportion de 21% de voitures, ça fait environ 400 kg de CO2e par an par personne.
  7. Mélange de sobriété et de liberté : concept inventé par votre serviteur qui décrit la liberté que l’on peut ressentir à vivre, volontairement, à un rythme lent et avec peu de choses.

5 réflexions sur “Pourquoi ce voyage ? – Version Quentin”

  1. Vincent Gutierrez-Mougin

    Bravo pour ce témoignage et merci de nous faire partager ce voyage.
    Hâte de voir la suite !
    La biz à vous 2

  2. Chantal Plassard

    Merci Quentin pour cet article très précis sur toutes les raisons qui t’ont poussé a faire ce voyage en train et en vélo. Moi aussi, comme toi, j’ai longtemps cru que l’écologie état un plus, comme la cerise sur le gâteau de notre vie d’occidentaux. Je pensait que juste acheter durable, local et bien trier ses déchets c’était déjà bien. Et moi aussi je me suis réveillée il y a un peu moins de 5 ans et me disant, non ça ne va pas le faire. Sans doute car j’ai commencé à me documenter, à lire ou écouter des articles ou des publications, dont les tiennes, qui m’ont fait comprendre l’ampleur des dégâts que nous avions déjà causés à la planète. Donc j’essaie d’aller un peu plus loin : changer mes modes de transport au quotidien, revoir un peu plus ma manière de consommer, supprimer le plastique à usage unique, fabriquer les produits ménagers et cosmétiques… il y a tant d’actions que nous pouvons faire, j’y vais progressivement. Cette année j’ai voulu aller un cran plus loin justement en revoyant ma manière de voyager. Déjà je ne prends plus l’avion depuis 4 ans, mais la voiture semblait incontournable. Et voilà que je reviens d’une semaine de montagne en train. Expérience réussie, du coup on se dit que pour cet été c’est jouable aussi.
    Votre voyage est inspirant et nous pousse à en faire un peu plus.
    J’ai hâte de lire vos prochaines aventures !

    1. Bonjour Chantal,
      Ca fait chaud au coeur de lire ton commentaire et de sentir que nous sommes nombreux à voir le mur arriver et à ne pas se résigner à le prendre.
      Ca me touche d’autant plus que tu as l’âge de mes parents (respect), ce qui montre aussi que les changements ne viennent pas que des plus jeunes mais bien de toutes les générations.

      On reparlera de tout ça à notre retour à Betton (autour d’une citronnade ?).

  3. Aurélien CLAUDE

    Hello les zamoureux,

    trop-cool votre aventure, jsuis trop fan et vous êtes méga courageux de le faire:) vous participez effectivement à nourrir un imaginaire différent de celui qu’on a l’habitude de voir et c’est vital!

    J’espère que vos ptits culs prendront pas trop cher pour la grande traversée. En tout cas hâte de voir les contenus que vous mettrez au fur et à mesure de votre sobre pérégrination:) Et carrément preneur des calculs de bilan carbone si vous en avez fait (voyages en train dans tel ou tel pays, …)! L’aventure m’intéresse aussi potentiellement pour le futur!

    Bises et force à vous,

    Aurélien

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